La question du logement dans une société fragilisée
Familles, emploi, précarité… les défis à relever pour les politiques du logement
Editorial
Le 19 février 2014, l’Assemblée nationale a définitivement adopté le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), porté par la ministre de l’égalité des territoires et du logement, Cécile Duflot. Il fait suite, à un peu plus d’un an d’intervalle, à la promulgation d’un premier texte sur cette thématique[1]. Surtout, ces travaux s’inscrivent dans la lignée de nombreuses autres tentatives, depuis une décennie, de remédier à la grave crise du logement qui se manifeste depuis le début des années 2000[2]. Ils traduisent l’ampleur d’un problème dont les caractéristiques sont multiples (explosion des prix et des loyers, inadaptation de l’offre aux évolutions sociales, insuffisante mobilisation du foncier, précarité énergétique, etc.), en partie documentées, et pourtant encore difficiles à appréhender.
Depuis 2008, cette première crise est exacerbée par une seconde crise, économique et financière, les deux s’articulant et se renforçant de plus en plus intensément. C’est tout l’objet de ce numéro de Recherche Sociale que de tenter de disséquer les causes, les conséquences et les spécificités d’une situation qui pèse, parfois avec une violence inouïe, sur une part croissante de la population. Les textes proposés sont le fruit de réflexions menées notamment dans le cadre de la production des rapports annuels de la Fondation Abbé Pierre sur « l’état du mal-logement en France »[3].
Dans un premier temps, la question du logement est abordée sous l’angle de l’insécurité sociale généralisée qu’elle induit désormais : en termes de conditions de vie, de mécanismes de protection, de perspectives. Ces aspects ne concernent plus seulement les ménages les plus modestes et affectent des publics nouveaux qu’on croyait jusque là préservés par leur statut professionnel ou leurs ressources.
Or, crise et économique et crise du logement se conjuguent désormais avec des tendances sociétales nouvelles face auxquelles les réponses actuelles en matière de logement montrent leurs limites, voire leur inadaptation. Le second article présenté dans cette livraison montre ainsi de quelle façon les séparations conjugales, les situations de monoparentalité ou de recompositions familiales, de plus en plus fréquentes, déstabilisent les itinéraires résidentiels des ménages. Ces évolutions de la cellule familiale demeurent pourtant peu prises en compte par les politiques publiques de l’habitat, aussi bien dans les dispositifs en place (aides financières) que dans les stratégies envisagées (documents de programmation et de planification).
Les difficultés au regard de l’emploi constituent une autre illustration emblématique de la façon dont la crise du logement étend ses ramifications au delà de la seule question de l’habitat. D’un enjeu social, les difficultés liées au logement se muent en enjeu économique : d’une part parce que le secteur du logement capte des flux financiers majeurs qui ne bénéficient que marginalement au reste de l’économie et génèrent peu de création d’emplois ; d’autre part, parce que l’accès et le maintien dans l’emploi s’accommodent de plus en plus mal de trajectoires résidentielles précaires ou balbutiantes.
La crise du logement est donc à la fois la cause et la conséquence d’un ensemble de contraintes nouvelles qui s’abattent sur des pans entiers de la société, avec des interactions fortes entre chacun de ces éléments. L’instabilité qui découle d’un tel contexte a tendance à précariser ceux qu’elle touche sur tous les plans. Le logement est ainsi au cœur d’une crise protéiforme et diffuse.
Or, les réponses attendues en termes d’action publique ne semblent pas encore adaptées à la complexité de la situation. Ces dernières sont en effet bien souvent insuffisamment coordonnées voire trop cloisonnées, aussi bien entre niveaux de collectivités[4] qu’entre différents services d’une même structure. Néanmoins, des initiatives publiques commencent à voir le jour dans certains territoires tandis que le monde économique a par ailleurs bien compris la nécessité et l’urgence de s’impliquer sur le sujet, en tentant de proposer des solutions aux salariés. Ces avancées laissent donc présager, pour remédier à une crise considérée comme globale, la mise en œuvre de réponses à la fois moins fractionnées, plus ambitieuses, et s’appuyant sur des partenariats entre acteurs. Couplées à des objectifs élevés en matière de construction[5], elles visent à sortir d’une crise aujourd’hui subie pour faire du logement un facteur de développement potentiel des territoires. Vaste chantier !
Julien Van Hille
FORS Recherche sociale
[1] Loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, dite « Duflot I ».
[2] Cf. http://www.lagazettedescommunes.com/58399/dix-ans-de-crise-du-logement/, consulté le 7 mars 2014.
[3] 19ème rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France, 2014.
[4] On note ainsi que presque tous les acteurs institutionnels ont la possibilité d’intervenir en matière de logement : la commune (autorisations d’urbanisme…), le département (aides au logement…), la région (au titre de la clause de compétence générale, rétablie récemment par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014), les établissements publics de coopération intercommunale (PLH…) et l’Etat.
[5] 500 000 logements construits ou rénovés par an d’ici 2017 : cf. http://www.gouvernement.fr/gouvernement/en-direct-des-ministeres/les-acteurs-du-logement-et-du-batiment-reunis-pour-lancer-obje, consulté le 10 mars 2014.
