Le mal logement et les nouvelles dynamiques de l’exclusion

Les territoires d’exclusion, les recompositions du secteur de l’hébergement et le « non logement »

Editorial

 Cette fin de décennie sera sans nul doute marquée par les conséquences de la crise économique et financière qui s’est manifestée à l’automne 2008. Les implications de cette crise, qui s’est déclenchée, faut-il-le rappeler, d’abord à partir du secteur de l’immobilier, sont déjà lisibles sur les conditions d’accès et de maintien dans le logement des ménages modestes et pauvres. Pourtant, nous ne sommes vraisemblablement qu’au début de l’onde de choc que subiront les ménages les plus fragiles. En effet, le ralentissement de l’activité économique dans certains secteurs de l’industrie et du commerce, comme l’accroissement du chômage, n’en sont qu’à leurs prémisses. Bon nombre de ménages se préparent à vivre des jours sombres et, quand ils le peuvent, adoptent des stratégies de précaution. Les observateurs constatent ainsi le ralentissement de la rotation dans le parc social, mais aussi dans l’ensemble du parc locatif, entraînant ici ou là des baisses du niveau des loyers à la relocation. Par ailleurs, les services sociaux, les bailleurs, mais aussi les fournisseurs d’énergie constatent, à la fin du premier semestre 2009, un bond important du nombre des impayés. En outre, le nombre des ménages surendettés par des crédits à la consommation lui aussi n’a jamais été aussi élevé, avec 712000 ménages concernés en juin dernier.

 Ces symptômes ne sont pas nouveaux. Cependant, leur développement témoigne d’une sensibilité accrue de la population aux soubresauts de l’économie et de l’emploi mais aussi d’un élargissement de la population concernée aux catégories moyennes. Cette diffusion de la précarité et les comportements qui s’en suivent génèrent en effet, une éviction de certains ménages, du fait d’une mise en concurrence des pauvres et des précaires entre eux. Cet effet d’éviction des dispositifs destinés aux plus démunis constitue un point qui nécessite, aujourd’hui, de créer un nouveau « secteur de vigilance » concernant le mal-logement.

 En voyant leur trajectoire résidentielle bloquée ou en se retournant vers des solutions sociales de logement, il est clair que les catégories moyennes vont rendre plus difficile la situation et le parcours de ceux qui étaient traditionnellement défavorisés vis-à-vis du logement. Cette tendance au « blocage de la chaîne du logement » n’est pas inédite, mais elle pourrait bien être annonciatrice d’une nouvelle forme d’exclusion s’apparentant à une « double peine », l’exclusion sociale se redoublant d’une exclusion du logement ordinaire.

 Ce sont ces différentes formes d’exclusion qu’aborde ce numéro de Recherche sociale. Trois domaines y seront explorés successivement, qui renvoient tous à l’effet « domino » de la pauvreté qui touche toujours plus durement les publics les plus fragiles.

 Le premier article analysera les mécanismes de ségrégation qui tendent à reléguer les ménages les plus défavorisés dans des territoires, les quartiers dits « sensibles », où dominent la pauvreté et l’exclusion.

 Le second texte examinera, quant à lui, le secteur de l’hébergement et du logement d’urgence, qui doit faire à une montée des besoins et à qui l’on propose de répondre par une logique du traitement de la misère, soit en proposant à des individus et des familles qui devraient normalement trouver à se loger dans un parc ordinaire une place d’hébergement, soit en rendant banal et définitif, pour les personnes fortement désinsérées, ces mêmes places sans aucune autre perspective de logement.

 Le troisième article, enfin, proposera d’examiner la situation de ceux qui sont les exclus des dispositifs en faveur du logement des défavorisés. Il s’agira ainsi de rendre compte du phénomène que nous avons appelé « non-logement », et qui recouvre toutes les formes dénaturées de logement telles que l’abri de fortune, le camping « subi » à l’année, l’occupation de caves, de garages, d’annexes ou de soupentes, etc.

 Les ménages hébergés, les très mal-logés et les « non-logés » constituent les publics cibles du Droit au logement opposable (DALO). Or, la mise en œuvre de ce dernier s’effectue avec difficulté et souvent, en renforçant encore la « spécialisation sociale des quartiers », ce qu’il faut entendre comme une accentuation de la concentration de ménages en difficulté sur les mêmes territoires. C’est un peu le paradoxe, mais aussi l’impasse de la situation actuelle, qui veut que l’on ne construise pas de solutions pour le long terme mais que l’on se contente de répartir dans des réceptacles peu nombreux et trop étroits des flux qui demeurent importants et qui semblent ne jamais pouvoir s’épuiser. Nous reviendrons, dans une livraison future de notre revue, sur le point épineux de la valeur que l’on peut donner au Droit au logement dans un contexte de divorce consommé entre la demande sociale et la logique des marchés de l’immobilier et des politiques du logement.

 

Didier VANONI