LOGEMENT : LA FIN DES PROTECTIONS ?
La crise économique et les nouvelles dynamiques d’exclusion du logement
Editorial
A la fin de l’été 2011, l’INSEE a publié les résultats d’une enquête qui indique que si la crise a touché l’ensemble des Français, elle a surtout affecté les plus modestes. Selon cette enquête, la France métropolitaine comptait, en 2009, 802 millions de pauvres, contre 7,8 millions l’année précédente ; ce qui signifie que cette année-là, 13,5% de la population vivait avec moins de 954 euros pas mois, contre 13% en 2008. La particularité de cette information est qu’elle procède de deux tendances opposées : d’un côté, le revenu médian de l’ensemble des français progresse et de l’autre, le niveau de vie des personnes les plus modestes continue de se dégrader, creusant d’autant les inégalité ente les différentes strates de la population. A cette égard, il faut comprendre que les ménages appartenant aux déciles supérieurs (les 10% les plus aisés) ont vu, quant à eux, leur niveau de vie progresse durant la période.
Le fait que les personnes défavorisées le soient toujours davantage est mesuré par l’INSEE par un indicateur d’intensité de la pauvreté (l’écart entre le niveau de vie médian des personnes pauvres et le seuil de pauvreté); ce dernier passant de 18,5% à 19%. Cette intensité traduit un décrochage entre les catégories de ménages, que les professionnels du logements avaient bien ressenti dès le début de la crise. Leurs analyses actuelles indiques d’ailleurs que l’écart n’a pas cessé de s’accentuer depuis lors.
En effet, le comportement des ménages vis-à-vis de l’accès au logement est très sensible aux variations de la conjoncture économique. En définitive, qu’il s’agisse de présenter des garanties pour louer un logement ou de s’engager dans un projet d’accession à la propriété, deux facteurs interviennent fortement : le niveau global des ressources, mais aussi leur stabilité prévisible dans le temps. Quant au maintien dans les lieux, il est lui aussi très fortement impacté par l’état des revenus des ménages. C’est ainsi que depuis 2008, le nombre d’incidents de paiement n’a cessé de se développer (impayés de loyer, surendettement ou « faillites personnelles », … )
La précarité vis-à-vis du logement agit comme un amplificateur des difficultés et des inégalités économiques. Faute d’un logement privé abordable ou d’un logement social, de nombreux ménages se voient freinés dans leurs parcours : pour les plus précaires, dans l’accès au logement et l’insertion économique; pour les plus insérés, dans leur mobilité professionnelle et leur parcours résidentiel ascendant. C’est l’objet du premier texte présenté dans ce numéro de Recherche sociale, que de chercher à faire le point sur l’impact que la « crise économique « peut avoir sur les conditions de vie et les stratégies des populations modestes et pauvres, mais aussi sur celles des classes moyennes. Si l’état des lieux qui est dressé tend effectivement à montrer que la cible du mal-logement est de plus en plus large, il permet aussi de conclure à un essoufflement des dispositifs destinés à prévenir ou réparer les situations d’exclusion.
Le deuxième texte, en proposant de se pencher sur la situation des propriétaires, permet d’élargir la question de l’insuffisance des mécanismes de régulation et de protection e montrant comment le statut de propriétaire, lui-même, peut avoir perdu ses verts protectrices. Devenir propriétaire, en effet, reste très majoritairement (et devient de plus en plus) réservé aux ménages les plus nantis et lorsqu’il est encore accessible aux ménages jeunes et modestes, il peut aisément devenir un facteur supplémentaire de fragilité ou d’appauvrissement en raison principalement d’un taux d’effort trop élevé ou de dépenses induites (transports, chauffage, entretien, etc.) non maitrisées.
Ces deux textes, qui résultent de travaux réalisés pour la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, complètent des livraisons précédentes de notre revue qui portaient sur le logement des jeunes ou des personnes âgées, ou encore sur les classes moyennes ou les insuffisances des « filets de sécurité » existants, face à un logement trop cher ou des ressources faibles. Le propos, loin d’être redondant, permet de dresser l’analyse et réaffirmer l’urgence qu’il y aurait à restaurer un système qui mette en adéquation les prix du logement avec les ressources des différents catégories de français, mais aussi à promouvoir une intervention publique réellement efficace en termes de redistribution et de régulation , au profit des plus fragiles.
Didier Vanoni
