Les professionnels généralistes de la politique de la ville (II)

Capacités de développement et relations avec l’Etat local

Edito 

Cette livraison de Recherche Sociale poursuit l’analyse engagée dans le numéro précédent. Le premier volume se penchait tout particulièrement sur la description d’un corps de professionnels, les chefs de projet généralistes de la politique de la ville et proposait une lecture dynamique de leurs positionnements professionnels, au travers d’espaces – métiers incarnés par des « figures » idéal-typiques. Il s’agissait, dans un premier temps, de fournir des clés de compréhension des espaces du possible dans lesquels s’inscrivent ces professionnels du développement social.

Dans un second temps, l’investigation se fait plus concrète et s’approche au plus près du quotidien d’un métier, à partir du regard porté sur les façons d’investir trois missions centrales dans la conduite de projet – la réalisation de diagnostic, la capacité de susciter l’émergence de projets et d’actions, l’évaluation de l’action menée. Elle illustre, à partir de témoignages et du point de vue des professionnels, les forces mais surtout faiblesses de la politique de la ville en matière d’ingénierie – régulièrement soulignées dans les rapports publics – tout en les connectant aux espaces – métiers et au poids du contexte d’intervention décrits dans le précédent numéro de notre revue.

La réflexion se poursuit en introduisant un acteur essentiel de l’ingénierie de la politique de la ville, l’Etat, et notamment ici l’Etat local, en tant que co-pilote et co-financeur, avec les collectivités, de la politique publique et des dispositifs qui lui sont dédiés. Convoquant de nombreux témoignages, elle met en évidence une tension de plus en plus forte entre le positionnement des représentants de l’Etat et celui des chefs de projet. Cette tension s’inscrit dans un contexte à la fois conjoncturel et structurel.

Conjoncturel, car les entretiens réalisés sur les territoires ont été menés entre octobre et décembre 2010. Soit une période marquée à la fois par les effets de la réforme générale des politiques publiques (RGPP) sur les services de l’Etat d’une part ; et par l’impossibilité politique à repenser la politique de la ville, qui a amené, juste au moment où se déroulaient nos entretiens, l’Etat à prolonger les contractualisations en cours sans autre changement que celui d’une baisse des financements alloués. Rappelons, pour évoquer la situation de l’Etat local fin 2010, que cette année-là avait vu la restructuration des services locaux de l’Etat, avec la création notamment des nouvelles Directions départementales de la Cohésion Sociale et l’arrivée dans leurs services d’agents ne connaissant pas la politique de la ville.

La tension ressentie entre les services locaux de l’Etat et les agents des collectivités s’expliquaient donc en partie par ce contexte. Mais de manière beaucoup plus profonde et structurelle, c’est l’évolution de l’Etat dans la politique de la ville qui s’incarne à travers le malaise des acteurs. L’Etat animateur est loin, et les agences comme l’Acsé ne proposent pas à leurs partenaires des collectivités de s’engager dans une réflexion sur la stratégie et le sens d’une politique, mais de s’emparer de programmes et dispositifs, assortis d’objectifs et d’indicateurs d’évaluation, qui finissent par absorber l’action publique au risque d’en diluer la finalité.

Tout se passe comme si la politique de la ville s’était en quelque sorte désincarnée et dé-territorialisée pour les agents de l’Etat, pendant que les professionnels des collectivités demandent à être soutenus et accompagnés dans leur capacité à peser sur l’avenir des quartiers en difficulté de leur territoire. Cette tension entre technicisation – administration et développement – animation, déjà pointée en 2000 comme un risque majeur par le rapport Brévan Picard[1], est aujourd’hui au cœur des débats, dans un moment où la politique de la ville dans son ensemble a vocation à être repensée par un nouveau gouvernement.

Anne Sauvayre

Fors-Recherche sociale

[1] C.Brévan et P.Picard, Une nouvelle ambition pour les villes, de nouvelles frontières pour les métiers, rapport remis à M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, septembre 2000.